La course qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche à Las Vegas, était très attendue. Une bonne partie de la communauté du Simracing était au courant de l’évènement. Il faut dire que la carotte d’un million de dollars de cash prize, le rendait particulièrement visible. Le concept Road to Las Vegas a été créé par la structure espagnole Cloud Sport, en partenariat avec la Formula E, championnat officiel de monoplaces électriques tamponné par la FIA. Pour cet évènement hors championnat, dix simracers ont été sélectionnés, et participeront à une course contre les vingt pilotes de Formula E. A priori, le combat semble inégal. En tout cas, c’est une première. Mais qu’en est-il vraiment ? A-t-on raison d’y croire ou de s’inquiéter ?
Je ne vais pas vous mentir, j’attendais beaucoup de cette course. Ceux qui ont lu les premiers chapitres de « Simracer », savent que l’intrigue principale est liée aux ponts qui, je crois, se créeront entre le Simracing et le Realracing. La GT Academy a jeté les premières bases, en permettant à un simracer de rouler parmi les realracers. Avec Road to Las Vegas, les pilotes réels affrontent les meilleurs d’entre nous sur notre terrain. Au moment de l’annonce, jamais je n’ai pensé que les realracers auraient leur chance. En effet, toute l’année, ils pilotent à la limite grâce à leurs hanches. Sur un simulateur fixe, le retour d’information ne vient que du volant. Dès lors, l’intérêt de cette course se situait ailleurs : l’organisation, la communication sur les réseaux sociaux et l’intérêt du grand public envers le Simracing.
Avant l’heure
Avant d’entrer dans le dur, parlons un peu du contexte. Cloud Sport a travaillé sur ce projet avec différents partenaires : rFactor2, Playseat, Formula E, Thrustmaster, Visa et Las Vegas. Les courses sont logiquement en Formule Electrique sous rFactor2. Long Beach, Paris, Berlin et Londres où les simracers s’affrontent et découvrent le mod, la voiture et les circuits, dans un mini-championnat. Les courses ne sont pas palpitantes, tout comme peuvent l’être les vraies en Formula E. Retransmis en direct et en replay sur Youtube, les commentateurs n’ont pas le niveau de Racespot, qu’on retrouve dans les productions iRacing. Les circuits sont peu larges et donc peu propices aux dépassements avec des voitures plutôt sages, qu’il convient de ne pas maltraiter. L’important est d’être dans les dix meilleurs, à l’issue des quatre courses. Graham Carroll, Olli Pahkala et Gregger Huttu sont sur le podium. Enzo Bonito, David Greco, Bono Huis, Petar Brljak, Aleksi Uusi-Jaakkola, Patrick Holzmann et Aleksi Elomaa complètent la liste des qualifiés d’office, assurés de gagner au minimum 20.000$.
A titre personnel, je ne peux que m’étonner qu’il n’y ait aucun Français. Le niveau était trop haut ? Les droits d’inscription de vingt euros sont trop élevés ? Les simracers français n’ont pas été informés de l’évènement ? Parmi les dix, cinq membres de la Team Redline, plutôt habitués à iRacing, ont été qualifiés. Et là, je ne suis pas surpris. Les meilleurs iront toujours chercher l’argent où il se trouve, même si pour cela, ils doivent changer de raquette ou de chaussures. Et c’est valable pour tous les sports. J’imagine qu’ils ont dû se dire, comme beaucoup d’observateurs, que la course ne se jouerait qu’entre eux dix. Et même s’ils n’avaient jamais roulé sur rF2, ou en mod Formula E, la force du nombre permettra probablement de financer le futur de la Team Redline.
Sur place et au dernier moment, comme lors d’une course officielle de Formula E, les pilotes découvriront la piste, leurs adversaires, les cockpits que Cloud Sport et ses partenaires ont préparés. Mine de rien, les simracers se sont qualifiés avec leur matériel. Ils y sont habitués, leur performance était optimisée. A Vegas, il faudra s’adapter et être performant le plus rapidement possible pour profiter de chaque instant. Les minutes sur la piste compteront plus que les secondes dans les rails. Quelques jours avant la course, Cloud Sport a réussi son pari d’intéresser les médias généralistes qui relayent régulièrement l’évènement sur leur site. La curiosité de la comparaison réel/virtuel, les primes aux vainqueurs n’y sont pas pour rien.
Un évènement plein de…
Sur la lancée de sa bonne communication d’avant-course, Cloud Sport a continué son bon travail. Quelques heures avant la course, un Onboard de la piste est publié. Elle se faufile à travers le strip de Las Vegas. Elle est rapide, bien plus que les pistes habituellement de la Formula E. Je la regarde plusieurs fois pour déterminer si les dépassements y seront possibles. Difficile à dire : la piste n’est pas très technique, mais elle est large. Des pods classiques pour ce genre de compétitions sont également présentés. Playseat s’acharnant à avoir une barre entre les jambes, Cloud Sport a donc dû déplacer la pédale de frein pour la mettre à gauche, à la place de celle d’embrayage. Dommage car c’est bien pratique pour les départs arrêtés. Pas de triple écran, mais une grande télévision. En comptant les simulateurs, je m’aperçois d’un premier problème, il en manque dix. Ce qui veut dire que seulement vingt pilotes participeront à la finale. Il y avait pourtant la place pour une 3ème rangée. Le coût d’un simulateur, dans le budget global de l’évènement, est une goutte d’eau, j’en suis sûr. La Formula E, il est vrai, est une compétition à vingt voitures.
Plusieurs séances sont programmées pour découvrir le circuit. Comme les simulateurs sont moins nombreux que les pilotes, le temps en piste est divisé par deux. Pas facile pour les realracers de prendre des repères avec des sensations statiques. Deuxième déception, les séances d’entraînement ne sont pas diffusées, ni même les qualifications. Je déchante de plus en plus. Et même sur les sites de Cloud Sport ou de la Formule E, pas de Livetiming pour suivre les temps à minima. Pour être honnête, il y avait bien un Livetiming : le Community Manager a répondu à mon interrogation sur Twitter. Sans doute une nouvel méthode révolutionnaire pour communiquer, nous laisser chercher…
Les séances montrent un nouveau visage qui domine chacune d’elles. Bono Huis (Redline), jeune pilote Néerlandais, qui maintient le meilleur des autres à cinq dixièmes minimum. En course monotype, avec des avions comme Graham Carrol, Olli Pahkala ou Gregger Huttu, c’est une sacré performance. Mais plus encore, la vraie surprise pour moi est Felix Rosenqvist. Le meilleur des autres, c’est lui. Et il est realracer, chez Mahindra, il pourrait être simracer. Il faudrait demander à la Team RedLine s’ils vont lui proposer un contrat. Je plaisante à peine. A l’autre bout de la grille des pilotes reconnus sur des simulateurs, comme Jean Eric Vergne (en F1 chez Ferrari), ou Sébastien Buemi (en F1 chez Redbull ou chez Toyota en LMP), naviguait dans le dernier tiers du classement.
Dans le cœur de la nuit, la diffusion s’ouvre enfin. Il est minuit en France. Les qualifications ont eu lieu, les 10 premiers sont qualifiés d’office. Vingt pilotes s’installent dans les cockpits et s’apprêtent pour le départ. Tous ? Non évidemment. Un irréductible cockpit refuse d’entrer dans la course. Pourtant un technicien est à son chevet. Le temps et donc le retard – c’est du direct – n’y fait rien. Le pauvre pilote belge, Jérôme D’Ambrosio, doit mettre pied à terre avant même que le départ ne soit donné. Le Simracing est un sport mécanique. Et donc, dans une compétition de visibilité mondiale, Cloud Sport n’a pas un PC de secours prêt à être mis en place en cinq minutes. C’est indéfendable, non ?
La course de qualification à dix-neuf donc, se passe sans encombre. Je ne pourrais pas vous dire qui a gagné, car quelques jours après l’évènement, les classements des séances, qualifications ou des courses, ne sont toujours affichés nulle part. Je me souviens seulement que lors de cette course pour la finale, le dixième et donc dernier qualifié, est Loic Duval. Or souvenez-vous, le 20ème simulateur n’est pas au mieux de sa forme. Heureusement, le technicien en a profité pour corriger le problème, même si le départ de la finale a du être retardé, et écourté de huit tours. Vingt tours donc, avec des commentateurs qui ne sont, à mon goût, pas à la hauteur. Même si Dario Franchitti est présent, on ne les sent pas vraiment passionnés. Pourtant j’y vois quand même de quoi me réjouir : de la publicité s’insérait sur la diffusion télévisuelle. Ce n’était pas le cas de la France, mais les droits avaient donc été vendus pour plusieurs pays. Les annonceurs sont donc intéressés par l’eSport, c’est une très bonne nouvelle.
Comme dans la réalité, la course se déroule en deux parties. Un arrêt au stand est obligatoire, car l’autonomie actuelle des voitures électriques ne permet pas de rouler plus de 30 minutes. Cloud Sport n’a pas poussé le vice en imposant un changement de cockpit, vu qu’il n’en disposait déjà pas d’un assez grand nombre. Les pilotes qui ont le Fanboost pourront s’en servir seulement lors du deuxième relais. Avant qu’on me demande de quoi il s’agit dans les commentaires, voici une petite explication : les Formula E sont des monoplaces de 170 CV environ en course. Trois pilotes sont désignés par leurs fans via les réseaux sociaux, pour bénéficier d’un avantage de 30 CV pendant six secondes. Il peut permettre de défendre ou d’attaquer un pilote. Lors de cette finale, il s’agit de Jose Maria Lopez, d’Olli Pahkala et de David Greco. Un départ sage de tout le monde, lors des premiers virages. Mais en fin de peloton, un crash a eu lieu avant la fin du 1er tour, réduisant les chances de plusieurs pilotes. Pas facile de savoir qui, nous n’avons pas le droit à beaucoup de ralentis, et celui-là n’était semble-t-il pas assez intéressant pour la réalisation.
La tête de course, constituée de Bono Huis et Felix Rosenqvist, prend rapidement de l’avance. Mais après quelques tours, le rythme de Bono est imparable : il s’échappe sans que le Suédois puisse se maintenir à portée. Pahkala et Huttu sont enfermés autour de la sixième place. Il est difficile de dépasser. Certains ont d’ailleurs essayé de passer à trois de front dans la chicane. Les rails ont imposé leur loi et n’ont laissé passé qu’une seule voiture. Olli choisit donc de s’arrêter tôt. Et c’est aux environs du dixième tour que Bono fait une erreur – que la réalisation a bien sûr manquée – qui ramène Felix dans son sillage. Une autre course commence. La pression est désormais sur les épaules du pilote hollandais. Difficile de dire s’il ne parvenait plus à hausser son rythme ou si Felix s’est habitué. Car seuls les temps d’Olli passionnaient les commentateurs. Il était une à deux secondes plus rapide, parce qu’il roulait sans autre adversaire que les pilotes de tête. Evidemment, lorsqu’ils durent s’arrêter à cinq tours de la fin, Olli les a passés. Il terminait alors la course, en tête, avec suffisamment d’avance pour contrôler. Nous avions trois beaux vainqueurs sur le podium. Olli, Bono et Felix. Car même si par certains aspects j’en attendais plus, la course avait eu lieu, et j’avais hâte d’avoir les avis de non-simracers. A quatre heures, plein de fatigue, il était temps de se coucher. Les interviews et réactions attendront.
Mais où est le Service Après-Vente?
J’ai pour habitude d’essayer d’équilibrer les articles. Dans ce cas précis, je vais avoir du mal, tant j’étais, au soir de la course, écœuré de la manière dont elle s’est déroulée. Cependant, après quelques jours de réflexion, je le suis un peu moins. Je parviens à voir des éléments qui sont malgré tout très positifs pour le Simracing, grâce notamment à Quentin, chroniqueur au SAV de la F1, et animateur dans Parlons Sport Auto. Son regard est neuf sur le Simracing, mais acéré sur le sport mécanique :
« Certains disent que ce n’était pas une très bonne course. Pourtant je l’ai trouvée assez intéressante pour plusieurs raisons : 20 tours contre 28 prévus au départ, la découverte et le côté atypique, exceptionnel de l’événement, la confrontation pilotes pro et simracers. Un événement au CES et soutenu par le championnat de Formula E, c’est du sérieux. La récompense ajoute de l’intérêt. Pendant la course, nous avons eu droit à quelques batailles, quelques crash et des pénalités post-course, bref presque tout comme en vrai. »
Parlons-en de cette « pénalité ». En anglais, « 12-second penalty following a post-race investigation for having gained an unfair performance advantage caused by a software issue ». Littéralement Olli Pahkala est pénalisé de 12 secondes après la course pour avoir gagné un avantage déloyal ou injuste à cause d’un incident logiciel. Difficile d’être précis, une interview d’après course aurait dû nous éclairer sur ce point. Malheureusement, Cloud Sport n’a pas jugé important d’en proposer. Il est probable qu’Olli ait activé son Fanboost au début de son 2ème relais, et qu’il ne se soit pas désactivé après six secondes. Les temps monstrueux qu’il affichait pendant le direct s’expliquent, avec 200 CV au lieu de 170 CV, pendant six tours. Dans l’esprit de tous, utiliser le mot « pénalité », est la conséquence d’une erreur ou d’une faute du pilote. Or dans ce cas précis, le mod utilisé est le seul coupable. Sans doute même que les deux autres pilotes, avec un Fanboost, en ont profité également. Sans les temps au tour, difficile d’en être sûr. Ils n’ont pourtant pas été pénalisés… Olli Pahkala est montré du doigt, alors qu’il s’agit bien d’une erreur de l’organisation de ne pas avoir vérifier cet aspect du mod. Attention, je ne dis pas qu’il aurait dû gagné la course. Je parle seulement en terme de communication. Les temps auraient dû être « corrigés » de douze secondes. Le résultat de la course aurait été identique, Bono qui a dominé tout le week-end, aurait bien sûr gagné la course. En terme d’image, le grand public retiendra qu’un simracer a triché. Car je le répète, la faute n’est pas sur lui. C’est comme cela que la direction de course affligeait une pénalité à Verstappen parce le règlement de la FIA est mal écrit.
Quentin, notre caution non-simracer, ne retient pas cet aspect de la course. Même si j’aurais aimé que tout se déroule parfaitement, n’oublions pas que nous voyons en tant que simracer, plus que ce que peut voir le grand public :
« Je comprends ce que tu veux dire. Idéalement, il faudrait appeler ça « réajustement du résultat de la course ». Mais pour le coup, ça fait un peu amateur. Non, franchement, ce qui en ressort n’est vraiment pas ce côté-là ! Je pense que l’enthousiasme autour de l’évènement n’a pas été déçu. Effectivement, le simulateur de rechange n’aurait pas été de trop mais imaginons que deux simulateurs tombent en panne. Qui en profite ? Personne ? Le premier qui est tombé en panne ? Le mieux qualifié ? Je ne suis pas choqué. Tant qu’il y a un facteur extérieur au facteur humain, il faut accepter les pannes. Combien de fois une F1 n’a pas pris le départ à cause d’un problème avant même le départ ? Et ça arrive aux meilleurs, même à Mercedes ! Après, sur les 8 tours en moins, je comprends qu’il y a un timing à tenir. Pour un événement qui a lieu une fois, c’est dommage ! »
L’évènement était majeur et attendu, par la communauté évidemment. Néanmoins, il faut retenir qu’il a été bien reçu par le grand public. J’y ai vu des pilotes professionnels suivre avec attention le travail des simracers, comme s’ils regardaient une télémétrie. J’ai vu des pilotes réels avoir du talent pour en découdre avec les meilleurs simracers au monde. Cette course n’est pas un championnat du monde, la Fédération Internationale qui est en construction, je suis sûr, en proposera bientôt. C’était une première, et nous sommes peut-être jaloux de n’avoir pas eu les reins suffisamment solides pour l’organiser. La prochaine fois ce sera encore mieux. Voici une suggestion, offrez au vainqueur une séance d’essai sur la vraie voiture. Bono a dominé cette course, il serait juste qu’il puisse essayer. Les realracers pourraient montrer qu’être pilote est un vrai métier, que si le Simracing progresse, la réalité est complexe. Je finirai par les mots du vainqueur, Bono Huis, qui résume bien le bon état d’esprit des simracers dans cet évènement :
« Vraiment incroyable. Quelle semaine à Vegas, je ne suis pas prêt de l’oublier. La course était stressante, avec Felix qui se rapprochait tour après tour. En plus, je me demandais d’où revenait d’Olli, ce qui explique mon visage sur le podium. Mais à la fin, je gagne cet évènement incroyable. C’est irréel. Félicitations à Felix Rosenqvist vraiment. Il était impressionnant, et a poussé jusqu’à la fin. Un racer incroyable. Je voulais aussi dire, que j’ai un énorme respect pour Olli Pahkala. Après la course, il m’a suggéré tout de suite, d’aller voir la direction de course. Quel Fair Play ! Je ne pourrais jamais le remercier assez pour cela. Enfin un grand grand merci à mes coéquipiers de la Team Redline. Il m’ont aidé des qualifications jusqu’à la fin. Nous partagions toutes les informations, pour gagner de la performance. A la fin, nous sommes cinq dans le Top 6, ce qui est un résultat incroyable. Je n’aurais pas pu le faire sans vous. Merci également à Faraday Future Dragon Racing. Merci à tous pour les messages, j’essaierai de répondre à chacun de vous. C’est important pour moi. Merci à tous ! »
Sim Racing Track le 13 janvier 2017 à 10:15
Un article bien écrit qui nous immerge dans cet évènement qui a eut le mérite d’exister..