Pierre Tantot, créateur en mouvements

A l’occasion de la mise à jour de notre carte avec six nouvelles Simrooms, nous voulons en profiter pour mettre en lumière l’un des acteurs majeurs de ce secteur. En aparté, j’invite d’ailleurs les créateurs de projets en France et aux alentours à se signaler, afin de compléter la carte. Depuis 2009, nous sommes en contact avec la plupart d’entre eux. Les difficultés sont nombreuses et expliquent, en partie, que certaines salles ont dû fermer. Pourtant un acteur majeur est toujours présent et poursuit sans cesse son travail aux côtés des salles. Créé en 2010 à Pierrelatte, dans la Drome, Ellip6 construit des simulateurs six axes pour les salles et les pilotes professionnels. Live-Sim s’était déplacé en 2012 – à relire dans le #6 (p.44) -, et quatre ans plus tard, après bien des péripéties, je m’y rends pour voir tout le chemin parcouru.

 

J’ai testé le simulateur Ellip6 pour la première fois lors du Mondial de la Simulation, en 2010. J’avais déjà essayé plusieurs types de simulateur (Blue Tiger, D-Box). Celui d’Ellip6 boxait, en terme de mouvements, de taille ou de prix, dans une autre catégorie. Il s’agissait de rouler avec une Subaru Impreza WRC sur une spéciale de terre avec plein de bosses et d’arbres… N’étant pas habitué au rallye, je n’avais pas vraiment de référence pour en apprécier la qualité. Dans mes souvenirs, le volant et particulièrement les palettes étaient raides. La démonstration néanmoins était très convaincante, notamment lors des sauts, tant la sensation d’apesanteur semblait réelle, et aussi dans la perception de la limite. J’aurais bien aimé l’essayer en pistard ; malheureusement une file d’attente un peu trop longue m’en empêcha. Néanmoins, les contacts étaient pris, et j’étais invité, une première fois, à approfondir l’essai chez Ellip6 à Pierrelatte.

Un peu plus tard, en 2012, j’ai été contacté par Grégoire Tournon, de Télématin – oui, vous avez bien lu – pour l’aider à choisir entre Ellip6 et I-Way, en vue d’un reportage qu’il prévoyait de réaliser. J’étais flatté (et j’en suis encore fier) d’être découvert et cité par un média mainstream. Après avoir testé des dizaines de simulateurs, je me suis forgé des convictions sur les simulateurs en mouvement. Dans ma réponse, j’ai évidemment listé les avantages et inconvénients de chaque solution. I-Way est évidemment télégénique. Par contre, découvrir le Simracing sur une F1, dont les réactions sont extrêmes, rend l’exercice périlleux. J’ai donc plutôt conseillé d’aller chez Ellip6, parce qu’il s’agissait de découverte. Le reportage le prouve d’ailleurs. Une Caterham suffit pour s’initier. Je reçois donc une deuxième invitation pour me rendre à Pierrelatte.

Une occasion en Or

Fin 2015, pour la cérémonie des SAV d’Or du podcast le SAV de la F1 auquel je collabore, nous cherchions un endroit pour déjeuner le dimanche midi en région parisienne. Sur la carte Live-Sim des Simrooms, Paris était alors un désert de simulations. Je cherche et tombe par hasard sur une adresse en plein Paris. Il s’agissait de simulateurs Ellip6. Malheureusement, la salle avait fermé quelques jours plus tôt. Cependant, Ellip6 avait eu la bonne idée de transférer un simulateur dans une brasserie, l’Auto Passion Café. Situé quasiment en face de la porte d’Orléans, le lieu, ouvert depuis 17 ans, est plutôt inhabituel dans une ville devenue autophobe. Toute la décoration du restaurant est liée à la course et à la passion automobile. Vous y trouvez des tables dont le pied est un moteur de F1, des dessertes Facom en guise de meubles, des sièges baquet, des pneus, des pièces de carrosserie et donc un simulateur Ellip6. Sans flagornerie, l’endroit est vraiment incroyable. Par exemple, nous étions assis tout près d’une Lamborghini Murcielago préparée pour la Laponie, avec des clous, grands comme des boulons. Les Simracers que vous êtes, comprendront sans aucun doute : si vous avez l’occasion d’y aller, n’hésitez pas. Nous y avons bien mangé et bien discuté, c’était l’essentiel.

Mais avec ma casquette Live-Sim, je voulais en savoir plus. Car pendant deux heures, le simulateur a toujours été utilisé bien que nous soyons un dimanche midi. La veille, pour rouler, il fallait attendre au moins une heure. J’avais pu confirmer que mes conseils pour Télématin étaient justes. En effet, une personne avait choisi de rouler à Barcelone en F1. Durant la phase d’apprentissage, où chacun se découvre, il tenait plutôt bien la voiture sur la piste. Puis la confiance venant, sans doute a-t-il voulu pousser un peu plus, et là c’était la voiture qui le promenait sur les bords de piste. Il devenait un passager. Il m’a été confirmé que 90% des clients choisissaient une GT, 8% de la monoplace, et 2% du rallye. Le simulateur devait rester un mois. Le gérant n’était pas sûr de sa rentabilité. En effet, par son emprise au sol, une table de huit couverts a dû être retirée. Un peu plus d’un an plus tard, le simulateur est toujours là.

Ce jour-là, j’ai pu quand même l’essayer, enfin, sur une piste, à savoir Monza à bord de l’Aston Martin GT3 V12. La piste avec ses vibreurs, ses chicanes, ses gros freinages, ses courbes rapides, sur une GT avec de l’inertie est, je crois, la combinaison idéale. Le but n’était pas de découvrir une piste ou une voiture, mais d’essayer ce simulateur à grand débattement, tout en étant prudent. En effet, je me sais sensible à la cinétose (le mot dont il ne faut pas parler en réalité virtuelle). Blague à part, la synchronisation des mouvements à la vision est évidemment plus difficile sur des grands simulateurs. L’oreille interne vous rappelle, de toute façon, la règle à suivre. En roulant vingt minutes, je savais que j’aurais pu rouler des heures, sans être nauséeux comme sur un bateau un jour de tempête. Sans dévoiler maintenant ce que j’en ai pensé, j’étais ravi d’avoir pu voir le simulateur en environnement réel, pendant près de deux heures. Rentable, il va par sa simple présence, participer à la découverte du Simracing pour un grand public autophile. Après cet essai, j’ai interrogé Ellip6, pour avoir quelques détails techniques, et comme toujours Ellip6 a ajouté, pour la troisième fois : « Vous êtes le bienvenu à Pierrelatte dans la Drôme, si vous souhaitez en savoir plus ».

Vous l’entendez ce message subliminal qui revient régulièrement : « Viens nous voir chez Ellip6 ». Je n’ai aucun souci pour succomber, mais comme je le dis souvent, Rennes est loin de tout. Difficile de prévoir un dimanche après-midi en famille à Pierrelatte. L’occasion finit par se présenter cet été, lors de mes vacances en Ardèche. A moins de trente minutes de Pierrelatte, il suffisait d’une journée de pluie pour pouvoir m’éclipser. Je peux vous dire que je surveillais la météo. Et la pluie est arrivée le dernier jour, juste pour me narguer. Ellip6 est ouvert et d’accord pour m’accueillir. Après six années, j’arrive à Pierrelatte, enfin. Je n’oublie pas le chemin parcouru, la progression, et pourquoi je suis là.

Je te fais visiter ?

Dès le parking, l’ambiance sonore très typée week-end de course est présente tout comme les traces de donut. Le bâtiment a un faux air de vaisseau spatial. En entrant, je m’aperçois à quel point le centre est grand. Pierre Tantot, son fondateur, me reçoit sur la terrasse. La discussion démarre. Nous aborderons des dizaines des sujets pendant les deux heures de ma visite. Le lieu est découpé en plusieurs espaces. Nous sommes au-dessus de la salle des simulateurs. Sur le côté est installé le dernier modèle, réalisé en collaboration avec Sébastien Loeb. Dans cet espace de réception, classiquement un bar, des tables et des chaises et quantité d’objets en lien avec la course automobile. Des dizaines de photos de pilote sont affichées. Pierre me confirme : « Tu sais, ici c’est le défilé de pilotes ». Sébastien Loeb, Yvan Muller, ou Margot Laffite, portent ou ont porté les couleurs d’Ellip6. Il a même financé Evan Maillard et Julien Français en Midjet 2L à l’occasion d’une sélection. Il faut dire qu’à 33€/jour en leasing sur cinq ans, l’offre a de quoi attirer les pilotes professionnels. Depuis 2010, date d’ouverture de ce lieu, Pierre connaît évidemment parfaitement son produit : « Trois minutes gratuites suffisent pour être piqué ». Ne croyez pas qu’il s’agit d’arrogance, je comprends tout à fait ce qu’il veut dire. Ce même lieu serait présent près de chez moi, j’y serais toujours fourré. Quand je l’interroge sur les zones blanches des Simrooms, à l’ouest globalement et en Bretagne particulièrement, il me confirme : « Moi non plus, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de salles en Bretagne. Et ce n’est pas faute de bonnes propositions ! »

Nous descendons là où sont installés les simulateurs. L’ambiance est sobrement éclairée par les écrans des simulateurs, enfermés dans des cages. J’ai eu l’impression d’arriver dans une arène. Pierre m’explique que les simulateurs sont toujours ceux d’origine. L’avantage d’être fabricant est qu’une pièce usée peut être remplacée facilement. Nous nous échappons justement pour entrer dans la zone où sont construits les simulateurs, dans les coulisses. Quelle fierté, me dis-je alors, de voir derrière les rideaux. Des simulateurs Sébastien Loeb sont en cours de montage, à côté de prototypes accumulés au fil des années. A Pierrelatte, nous sommes au cœur du système. La recherche, puis la fabrication, les améliorations, jusqu’aux sessions dans les simulateurs. Pierre voit plus loin que nous. Ainsi, le chantier du moment était le prototype de simulateur 7 axes Moto. Personne pour l’instant n’y était parvenu. L’axe supplémentaire qui permet au pilote de se pencher doit également avoir un retour d’information. En juillet, le développement était toujours en cours. Les diverses solutions testées avaient fini par avoir du jeu. Il était alors impossible d’être précis. Je n’ai pas pu le tester – une prochaine fois sans doute – mais le souci du détail est fascinant. En effet, le châssis, les leviers d’embrayage, de frein ou le sélecteur sont de vraies pièces motos interfacées avec le jeu. Le projet suivant tourne autour de la réalité virtuelle. Pierre a essayé tous les modèles du commerce. Et comme les idées ne cessent jamais, il compte bien réaliser un prototype adapté à la simulation.

Essaie le Sebastien Loeb !

Le dernier modèle de base de la marque a sacrément évolué depuis 2010. La bête pèse 450 kg, avec un débattement linéaire de 500mm, et jusqu’à 50°. Côté performance, 550 mm/s au maximum – soit 2G – et un temps de réponse de 320 ms.  Je roule sur le nouveau circuit de Dijon dont les stands ont été refaits par l’équipe d’Ellip6. Ils travaillent sur les voitures également. Les contacts avec des écuries de course sont utiles pour obtenir les acquisitions de données. Ellip6 a créé des outils pour rFactor1, pour reproduire des voitures et des physics conformes à la réalité. Même si le jeu commence à dater, les outils sont précis au dixième de seconde, ce que rFactor2 ne permet pas. Les récents changements à la tête du simulateur de ISI, repris par Studio 397, changeront peut-être la donne.

Dès ma sortie des stands, je mesure à quel point, en quelques années le simulateur s’est amélioré. La rigidité laisse place désormais à la précision. Le volant est souple. Le retour d’informations est bien plus simple qu’avec nos volants du commerce. Les sous-virage, lacet, transfert de masse, tangage ou roulis, sont restitués par la plateforme. A chaque passage de vitesse, on ressent la rupture de couple. La plateforme réagit à son environnement. Les vibreurs et les bosses sont autant d’informations que le corps doit traiter. Le bassin prend son rôle à cœur. Il s’amuse à capter la limite d’adhérence. Un peu de temps serait nécessaire pour s’habituer à tous les retours de mouvements. Le frein est vraiment bon, si excellent même que je me suis demandé s’il s’agissait d’hydraulique. Le pied est vraiment dupé. Ayant un capteur de pression sur ma pédale de frein à la maison, je suis depuis très attentif à ce feeling de grip au freinage. Or Pierre me confirme que le frein que j’utilise n’est pas hydraulique, mais qu’il existe en option. Le capteur de pression n’est pas assez fiable pour un usage intensif. Je ne sais pas comment l’expliquer. C’est mon corps qui m’indique que les roues vont se bloquer. Après 20 ou 30 minutes dans le simulateur – le temps passe vite – tout va bien, pas de nausée. « Je ne suis pas étonné, depuis 2010, jamais je n’ai eu quelqu’un de malade ».

J’étais venu pour une visite et une interview. J’avais omis de prendre en compte que Pierre est en réflexion permanente, sans cesse à la recherche de technologies naissantes. Il faut croire que deux heures passées à Pierrelatte n’étaient pas suffisantes. L’occasion n’est pas perdue. A mon tour de lui lancer l’invitation. Pierre, vous revenez à Live-Sim quand vous voulez !

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