L’ambiguïté de la professionnalisation

La langue française est connue pour être riche d’autant de mots que de situations. Littéralement, « se professionnaliser », c’est devenir professionnel. Or ce mot a un sens différent s’il est utilisé comme un nom ou un adjectif. « Devenir (un) professionnel » se dit par exemple d’un sportif qui cherche à être rétribué pour la pratique de son sport. Comme adjectif, être « professionnel » qualifie une activité ou un métier. Live-sim est un bon exemple. Nous sommes un média dont le travail est professionnel, même si, actuellement, nous ne sommes pas des professionnels. La nuance est visible et pourtant ambiguë. Travailler dur dans l’espoir d’en vivre. Ce résumé s’applique à la grande majorité du Simracing. Car beaucoup de structures se professionnalisent avec tous les attributs connexes. Budget, contrats, recherche de partenaires, gestion des primes. S’agit-il de professionnalisation ou de Serious Game ? En vivre est-il plus un espoir ou une réalité ?

Pendant des années, nous nous sommes contentés de jouer contre les IAs. En 2005, grâce à rFactor et GTR premier du nom, et avec la percée de l’ADSL en France, tout a changé. Nous avons enfin pu rouler les uns contre les autres sur des serveurs ouverts à tous vents, et remplis de « freine trop tard ». Vous vous souvenez ? Ceux qui nous traversaient aux alentours du premier virage, et qui disparaissaient avant le deuxième. Pour les éviter, des ligues se créaient partout dans le monde, fortes de l’envie de créer des communautés sérieuses pour piloter en gentlemen. Cette période était comme une ruée vers l’or. Il est difficile d’imaginer, aujourd’hui, le temps passé par des milliers d’anonymes, à créer des serveurs, des outils, des mods ou des circuits. Pourtant, depuis cette époque, la culture du temps offert à la communauté a perduré. Tant et si bien que, si les bénévoles décidaient de ne plus donner au Simracing, l’écosystème perdrait presque toutes les ligues, les moddeurs ou les équipes. La réalité est que dans le Simracing, le bénévolat est une institution. Sera-t-il un frein, par exemple, à la croissance annoncée de l’eSport ?

Mais où en est le statut de l’eSportif ?

Annoncé en mai comme une première étape, l’eSportif n’a toujours pas de statut légal et officiel. Comme je le craignais déjà fin 2016, les organisations sont toujours considérées aux yeux de la loi comme un jeu de hasard, au même titre que le Loto, ou le pire des jeux à gratter. Chaque organisateur d’évènement est de fait dans l’illégalité. Les joueurs de la scène eSport qui en vivent déjà aujourd’hui, doivent se contenter du statut imparfait d’auto-entrepreneur avec un chiffre d’affaires limité à 35 K€ par an. Après sa victoire à la Vegas eRace et sa prime de 275k€, Bono Huis, s’il avait été Français, aurait sans doute été attaqué par une administration fiscale ou réglementaire. La prochaine législature, espérons-le, changera la donne. L’eSport est en train de grandir. Je ne vous ennuierai pas avec les chiffres prévisionnels de croissance, car il est question de beaucoup d’argent. J’ai néanmoins une inquiétude. Le Simracing ne semble pas être une discipline considérée dans l’eSport. Alors que les chaînes de télévision proposent de plus en plus de contenus, très très peu d’émissions traitent du sport automobile virtuel. Nous ne pouvons que le déplorer, mais il est probable que le Simracing devra s’arranger d’un cadre juridique créé pour d’autres.

Est-ce mieux dans le Realracing ?

Le sommet de la pyramide du Realracing est la F1 de ce côté-ci de l’Atlantique évidemment. Ce week-end commence la saison 2017, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces gladiateurs ne sont pas tous payés. Les Tops pilotes, bien sûr, sont rétribués grassement. Ils sont, avant que la saison ne démarre, tous des champions du monde en puissance. Pourtant Esteban Ocon, l’espoir français, n’aurait jamais pu intégrer Force India, sans la réduction de prix du moteur Mercedes octroyée par le constructeur allemand. Sauber, une équipe modeste mais dont le travail est reconnu depuis des années, a été rachetée l’année dernière par les sponsors de son pilote, Marcus Ericcson. La F1, c’est comme un iceberg : 90% est sous l’eau. Le billet d’entrée pour un rookie en F1 est de 10 millions d’euros. Ces pilotes sont pourtant des professionnels, des sportifs qui se consacrent entièrement à leur sport. Ils ont tous du talent, mais sans le coup de pouce financier, ils ne franchissent pas la porte. Un peu en dessous, en terme de notoriété, nous avons le WEC, avec la fameuse course des 24H du Mans. Et si vous enlevez les Gentlemen Drivers qui paient leur engagement, leur voitures, et les à-côtés, la grille est divisée de moitié. Sont-ils des professionnels ? Ou sont-ils des clients d’équipes qui sont les professionnels, qui en vivent ou essayent d’en vivre ? Payer pour piloter devient une règle, car les sponsors ne suffisent plus au coût d’un sport auto en perte de vitesse. Les tarifs et l’élitisme ont éloigné toute une génération qui, en même temps, a grandi avec les jeux vidéos. Le Simracing a recueilli ceux qui aiment la course, mais qui en ont assez des processions dues à des règlements niant la compétition. Le virtuel pourrait prendre une place vacante, car le vainqueur y est toujours le meilleur pilote, non pas celui de l’équipe au meilleur budget.

Qui en vit aujourd’hui ?

Comme dans le Realracing, peu en vivent. Dans les années 60, la F1 était un championnat du monde de garagistes. Le Simracing n’échappe pas à la règle. Nous sommes pour la plupart des amateurs qui essayent de progresser dans notre discipline le plus sérieusement possible. Or notre monde est bien plus réactif qu’il y a 50 ans. Le Simracing s’adapte sans cesse. Certains en profitent déjà. En premier lieu évidemment, les studios qui fabriquent nos jouets. Il est agréable de constater qu’après une période de vache maigre, les jeux sont plus nombreux et de meilleure qualité. Les fabricants généralistes d’accessoires, comme Logitech, Thrustmaster ou Fanatec, proposent désormais plusieurs volants dans leur catalogue. Depuis quelques années, des spécialistes vendent des volants haut de gamme, que l’ami Skape chronique régulièrement sur Simrace-Blog. Du côté des médias, difficile de savoir s’ils en vivent. Les Youtubers diffusent du contenu varié : courses, tests ou astuces. Cependant, ils sont loin des revenus générés par les blogs mode et beauté. Nous constatons via notre carte que les salles de simulations s’ouvrent régulièrement. Quant aux joueurs, difficile de distinguer les serious gamers des professionnels. Même sur iRacing, les primes ne sont pas équivalentes aux tournois DOTA ou League of Legends.

Vivre du Simracing est donc aujourd’hui plus un espoir qu’une réalité. La bascule vers la professionnalisation arrivera par les moyens que des investisseurs voudront bien injecter. Toute une économie, via ses structures de bénévoles, est déjà opérationnelle et prête pour le grand départ. Les ligues, les équipes, les pilotes, regardent tous vers les feux qui lanceront la course. Le modèle économique, dont nous parlions la semaine dernière, devra assurer aux financiers un bon retour sur investissement. La communauté, pour gagner plus, devra payer un peu plus. C’est le prix à payer pour que les meilleurs de notre discipline puissent en vivre, en espérant que le Simracing ne soit pas oublié dans la professionnalisation de l’eSport.

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