L’irrationalité dans la simulation : une réalité

Vous êtes plutôt Assetto Corsa, Project Cars2, Iracing, Rfactor2, Automobilista ? A regarder à droite et à gauche les différents conseils promulgués par maints simracers, on peut trouver toutes sortes de réponses, argumentées pour prôner un soft plutôt qu’un autre. Pourtant à bien y regarder, des débats se voulant à la base plutôt objectifs glissent très vite vers des échanges parfois mouvementés, où l’irrationalité prend le pas sur le reste. Et plutôt que de mettre en avant les points forts de tel ou tel soft, la sulfateuse est de sortie pour dénoncer les défauts petits ou gros, qui vont justifier que TA simulation n’est pas la meilleure. Et puisque ce n’est pas la tienne, c’est forcément la mienne. Pourquoi retrouve-t-on presque systématiquement ce syllogisme, qui nous oppose alors que nous sommes tous mus par une passion commune, le simracing ?

Dans le simracing depuis presque 20 ans, j’ai eu l’occasion de voir l’évolution constante des logiciels avec certaines périodes de disette, et d’autres d’abondance. A bien y regarder, aujourd’hui nous sommes riches d’un nombre de simulations qui devrait permettre à chacun de trouver chaussure à son pied. Pourtant, là où on pourrait s’attendre à ce que chacun s’épanouisse sur le(s) support(s) de son choix, et partage sa passion avec bienveillance, la réalité revêt bien régulièrement un aspect tout autre. Il suffit de parcourir les forums pour constater cette forme d’intolérance entre jeu à la manette plutôt qu’au volant, ou bien embrayage automatique ou manuel, direct drive ou non, vue cockpit ou capot, pour ne citer que les plus fameux débats de haut vol… Bref la cohabitation est souvent difficile !

Comme vous pouvez le constater, la question de l’objectivité et de la rationalité est épineuse…

Malgré nos discours pompeux, force est de reconnaître que l’immense majorité d’entre nous ne possède que peu, voire pas, d’expérience du realracing. Pareillement, côté technique et compréhension de la modélisation des physiques des véhicules comme des modèles pneumatiques, je pense que nous sommes très nombreux à ne pas en avoir la pleine maîtrise. Pourtant je vois assez souvent les mêmes arguments utilisés avec conviction, pour soutenir exactement la même chose dans les deux camps.  Exemple, le tyre model. Certains vantent celui de Rfactor2, quand dans le même temps il m’est arrivé de voir des suites d’équations  justifiant qu’Iracing était LA référence, et quand d’autres encore désignent Automobilista comme le « must have ».

Pour rappel, « simuler » n’est-il pas une forme de mensonge, par définition, de travestissement de nos sens afin d’obtenir un effet de réel ? Quand on sait qu’on ne sait pas grand-chose, difficile de s’y retrouver… Autre exemple : lorsqu’un bougre amène Project Cars2 ou Iracing sur le tapis, il y a régulièrement comme une coalition spontanée qui s’unit contre le malheureux. Et là, ce qui devient particulièrement intéressant, c’est d’évaluer les critères rationnels utilisés. C’est édifiant ! Faites-en l’expérience, très vite les critères techniques laissent place à des réflexions sur le modèle économique d’Iracing, ou bien sur les méthodes de communication de Slightly Might Studio. La question suivante est donc : pourquoi et comment le « modèle économique » ou les méthodes marketing et communication entretiennent-ils un lien avec la perception de la conception intrinsèque du logiciel ?

Bien souvent, derrière l’écran de mon PC, je souriais ou bien m’agaçais de la « mauvaise foi » que je supposais de la part des deux camps. Parfois, il m’arrivait de baisser ma garde et de participer moi-même à l’ineptie générale, arguant des éléments lus ou entendus çà et là, mais sur des sujets que je ne maîtrisais absolument pas. Pire ! J’ai, comme beaucoup, écrit ou émis des critiques sur des jeux sans même les avoir testés.

Le biais de rationalisation est plus ou moins inconscient

Comment en arrive-t-on à tenir ces positions totalement subjectives et irrationnelles, puisqu’elles ne s’appuient parfois sur rien de ce qu’on a pu expérimenter soi-même ?

Alors, j’ai décidé d’essayer de ne plus être un âne bâté, et je me suis fixé comme objectif d’étayer ma propre opinion, objective et rationnelle. Mais pour cela, il me fallait m’affranchir de deux handicaps majeurs :

  1. Faire l’expérience par moi-même du soft (Facile)
  2. Relever les idées reçues que j’avais pu accumuler (Là, ce n’est pas gagné par contre !)

Cela m’amène donc maintenant à interroger ma perception de façon plus générale, pour l’élargir à d’autres champs.

Parmi ces autres champs, pas facile de s’y retrouver. Il en est cependant un qui revient régulièrement et qui amène à lire de nombreux commentaires sur le prix d’un jeu,  des DLC, de l’abonnement etc… La question qui émerge, interroge donc le rapport à l’argent, notre rapport personnel à l’argent, et notre jugement sur le rapport à l’argent d’autrui. Je m’explique.

En ce qui concerne Iracing par exemple, le principal reproche qui émerge tout de suite après – et parfois même avant – les considérations techniques, c’est le modèle économique. La question à laquelle il faudrait simplement chercher à répondre serait donc : Iracing justifie-t-il son prix largement supérieur au reste ? Il n’existe donc pas de réponse globale. La réponse est personnelle, donc subjective puisque chacun met ses priorités là où il le souhaite. Mais on ne peut s’empêcher quand même de vouloir apporter une réponse qui souvent veut convaincre l’autre autant que soi-même. Vous l’aurez compris, là on bascule dans l’essence de l’irrationalité, et cela porte un nom : le biais de rationalisation.

« Un biais de rationalisation est un phénomène psychologique plus ou moins inconscient par lequel lors d’une enquête, un individu peut être amené à formuler des réponses qui justifient ou rationalisent a posteriori son comportement. Ainsi un individu qui évalue un produit qu’il vient d’acheter peut être amené à surévaluer sa satisfaction ou les qualités de ce produit. Cette surévaluation peut être d’autant plus forte que la qualité objective du produit ou service est basse [ou que la critique est forte]. En effet, juger durement le produit revient pour l’individu à remettre en cause le bien-fondé de son achat et à reconnaître plus ou moins explicitement qu’il a commis une erreur(…). »

(Source : https://www.definitions-marketing.com/definition/biais-de-rationalisation/)

Ce processus explique l’origine de certains discours et arguments pouvant être interprétés comme de mauvaise foi, exagérés ou minorés selon le cas. Ce qui est remarquable aussi, c’est qu’à bien y réfléchir finalement, ce processus fonctionne aussi quels que soient les achats, y compris nos simulations. Mais se contenter de cette première grille de lecture serait faire un raccourci que je ne m’autorise pas. Cette analyse comme les suivantes ne sont pas générales. Tout le monde n’est pas mu par les mêmes leviers psychologiques, cependant il est intéressant d’en avoir conscience.

La frustration, la grande copine de l’irrationalité

Un autre point qui nous concerne tous, qui va avoir un impact sur notre perception et nos réactions, se rapporte à la façon dont nous gérons la frustration. Cette frustration est aussi la grande copine de l’irrationalité ! Elle peut se vivre à différents niveaux. Tout d’abord, de façon assez basique, cela renvoie à la non-possession d’un soft, ou une attente déçue après un achat. Il n’est pas ici question de porter un jugement quelconque, mais d’essayer de comprendre le processus. Peu importe la raison, mais la frustration est un des facteurs qui explique les réactions aussi vives face à Iracing. Ne pas posséder ce jeu génère quelque chose de « pas cool » pour le simracer. On parle d’ « inconfort » voire de « souffrance psychologique » (à prendre avec distance, c’est du vocabulaire de psy hein !). Dans un mouvement miroir au biais de rationalisation abordé précédemment, vont donc apparaître « des réponses qui justifient ou rationalisent a posteriori » son impossibilité de jouir de l’objet désiré. Afin de rendre la frustration moins pénible à accepter, l’esprit va mettre en place un petit jeu irrationnel pour l’atténuerCertains n’arriveront tout simplement pas à affirmer que le prix leur paraît dissuasif. Ils en viennent alors à s’auto-persuader d’arguments divers, récupérés ça et là, qu’ils n’auront généralement pas vérifiés eux-mêmes.

La frustration, je peux en parler par exemple à propos de Project Cars2. J’avais eu la faiblesse de croire aux belles promesses marketing (je suis faible, je sais…). L’implémentation d’un système de « rating » à la Iracing, des graphismes, un FFB et des physiques optimisés et aux petits oignons, j’en passe et des meilleures. J’avais à titre personnel pas mal d’attentes et qui ont été bien déçues ! En première réaction aux multiples bugs, j’ai d’abord vu dans ce jeu une arnaque absolue. La frustration parlait librement ! En fait, avec un peu de recul, tout n’est pas à jeter. Comme pour beaucoup d’autres jeux, il suffisait de prendre le temps de bien le maîtriser pour savoir quels étaient ses points forts (et heureusement il en a).

Une autre forme de frustration s’exprime aussi dans la notion de possession par rapport à la location ou le service. Payer pour un service n’est pas toujours très bien ancré, même si cela a tendance à changer, comme le succès des plateformes Netflix ou Spotify tend à l’indiquer. Or iRacing se démarque du marché des simulations parce qu’on n’est propriétaire de rien. De surcroît, il est impossible de l’essayer sans frais, sauf offre commerciale d’un mois gratuit, extrêmement rare. Cette situation confronte donc le simracer avide de nouvelles expériences à une situation quasi inédite ! Et cette frustration titille un terrain qui touche à notre « passion », par définition peu propice aux réactions mesurées et objectives.

Au final chacun est libre de ses choix, de ses avis et de ses opinions. La compréhension de ce qui nous influence, plus ou moins inconsciemment, permet d’éclairer nos postures un peu autrement. Si vous avez tenu jusqu’ici, je vous félicite !!! Allez, maintenant c’est à votre tour ! Faites preuve au choix d’objectivité ou d’irrationalité, et partagez avec nous vos réactions. Iracing, Project Cars, Mario Kart vous posent un problème ? Est-ce le résultat de la frustration, du biais de rationalisation ou bien encore autre chose ? Lâchez-vous, et faites-nous part de vos analyses. Mais rappelez-vous qu’au-delà de tout ça, même si on n’a pas la même simu, on a la même passion !

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