Le Simracing au service du Realracing

 

Le Realracing utilise depuis quelques temps du Simracing, nous le savons. De grands simulateurs sont installés dans les écuries du haut des pyramides F1 ou WEC. Des reportages ont permis d’avoir un aperçu de ceux de McLaren, Toyota, Audi, Porsche, Ferrari ou RedBull. Ce dernier est d’ailleurs celui qui est le plus connu. Pourtant la communication millimétrée laisse filtrer peu de détails. Les programmes, le matériel, ce que les pilotes ont besoin sont cachés derrière le voile du secret. À l’époque du magazine, je me rappelle m’être plaint, notamment des nominations de realracers sur les programmes de simulateurs, alors que des simracers libres et compétents étaient disponibles. Il semble que nous ayons été entendus, puisque McLaren lance un programme de détection d’un simracer pour intégrer l’équipe chargée de la simulation. L’accès à ces informations confidentielles n’est pas prêt d’être open data, néanmoins l’essaimage du Simracing est en marche. Ainsi ai-je découvert, à quelques kilomètres de chez moi, un centre un peu particulier, 2SMPilotage. L’occasion de faire le point avec un professionnel et de comprendre pourquoi le Simracing est un outil merveilleux pour le Realracing.

Parlons d’abord de Félix Barré, mon hôte pour l’après-midi. Ingénieur d’exploitation, chef de voiture, responsable de programme, team manager pour de nombreuses équipes, dont IMSA Performance (GT), Overdrive Racing (Rally-raid), Regal (Andros et course de côte), Sport Garage (Andros). À trente-trois ans, avec  l’expérience et un joli palmarès, comme des championnats en V2V, les 24H du Mans en GT, le GT Tour, Félix souhaitait se diversifier. Le Simracing est pour lui une opportunité de partager ses connaissances auprès de ses clients. En naviguant sur la page des tarifs, vous aurez sans doute un indice, mais ce serait réducteur. Les contraintes du realracing le sont aussi pour les pilotes.

« Le sport auto coûte. Certains sont devenus professionnels, mais beaucoup sont des gentlemen drivers qui ont un autre emploi du temps. Le simulateur peut être une alternative complémentaire à une séance d’essai. On peut optimiser les séances et on arrive prêt pour le week-end de course. »

Cet aspect de l’outil simulateur, je ne l’avais pas envisagé sous cet angle. Les pilotes professionnels n’arrêtent pas de dire que rien ne remplace la piste, que les simulateurs les ennuient. Pourtant, afin de limiter les coûts des essais en piste, les équipes se servent beaucoup de l’outil informatique, notamment pour définir le setup de base. En combinant l’ensemble des réglages du modèle physique virtuel, la puissance de calcul peut estimer le gain ou la perte sur un tour. En bout de chaîne, un pilote valide dans le simulateur un ou deux réglages qui seront utilisés pour débuter le week-end de course. Les pilotes professionnels de la F1 ne raffolent pas du travail en simulateur. Ils préfèrent la piste.

« Avoir un circuit c’est compliqué, car ils sont souvent réservés, notamment par les motos. Le coût est élevé, autour de 10.000 € HT par jour pour Magny Cours par exemple. Et on est dépendant de la météo. Par ailleurs, au niveau des normes de bruit, en France, nous sommes limités à 98 dB, alors qu’en V2V les véhicules peuvent atteindre 105 dB, et en Blancpain 110 dB. Pour les séances d’essais cela pose un problème. Des circuits comme Ledenon, ou le Bugatti, sont restrictifs sur ce plan, et on est obligé de lâcher en ligne droite pour ne pas faire trop de bruit. »

Pourquoi Saint-Malo ?

Dans un simulateur, personne ne prête attention aux normes, aux autophobes ou aux coûts. 2SMPilotage n’est pas le premier dans cette niche des simulateurs pour les professionnels. J’ai noté pour ma part un changement à partir de 2012 avec notamment l’accident d’Antony Davidson. Souvenez-vous, il s’était glissé dans l’angle mort d’un gentleman driver, qui ne devait pas regarder dans son rétro à ce moment précis, puisqu’il est déjà en train de freiner pour l’épingle de Mulsanne. Sans parler de responsabilité, pour ne pas entrer dans des polémiques, j’avais dit à l’époque que le Simracing devait être utilisé pour justement entrainer les nouveaux arrivants dans les courses multi-classe. Pas sûr qu’ACO m’avait lu à l’époque, mais désormais réglementairement, huit heures de roulage sur simulateur chez AOTECH, en région parisienne, sont imposées aux débutants (et à ceux qui n’ont pas disputé les 24H du Mans depuis cinq ans). Facturées autour de 4.000 €, ces séances permettent l’apprentissage en toute sécurité des différents aspects de la course, avec la nuit, les conditions météo variables, les différentes catégories, les procédures de Safety Cars, les « slow zones ». RSSimulation de l’ami Bruce Jouanny, propose depuis plusieurs années de travailler avec des simulateurs à Monaco. Cette côte offre, il est vrai, un bon climat pour les pilotes. La Bretagne est plus connue comme une terre de cyclisme que de course automobile. Alors, pourquoi Saint-Malo ?

« Pour l’attractivité de la ville, pour son accessibilité. Le TGV arrive jusqu’ici et nous serons à partir du mois de juin à 2h de paris. L’aéroport de Rennes et Dinard ne sont pas loin. J’ai passé un accord avec les thermes de Saint-Malo pour avoir des nuitées ou les soins à des tarifs préférentiels. Dans le cliché “Monsieur fait du simulateur et Madame va en thalasso”, si je compare avec certains circuits, les accompagnants préféreront sans aucun doute venir à Saint-Malo. Pour un pilote, se déplacer à Monaco ou à St-Malo, en terme d’accessibilité, c’est équivalent. »

L’alternative Simulation

Félix a découvert la simulation dans son activité pour IMSA Performance. Il envoyait ses pilotes, soit chez AOTech, soit chez RS Simulations. La course automobile qu’on idéalise évidemment est contraignante. Souvent parti loin de ses proches, il voulait un peu lever le pied. Il se rapproche alors de Stéphane Koch et de Race Start Concept, pour imaginer l’outil 2SMPilotage.

« Le simulateur est issu d’une voiture fibrée dont nous avons fait un moule, sur le modèle des voitures du trophée Andros et qui repose sur un châssis que Race Start Concept a conçu. On aurait pu la faire entière, la question s’est posée. Mais ce qui compte pour les pilotes, c’est l’intérieur, l’habitacle, le tableau, le volant, pour avoir l’immersion d’une Porsche Cup. A terme, nous prévoyons d’avoir une coque de proto également, pour pouvoir intervertir les voitures en fonction des usages. »

L’outil est réfléchi, fort de son expérience de la compétition. Le pilote peut venir avec son propre casque, puisque le simulateur est équipé pour tous les standards. A l’intérieur, il est vrai qu’on n’a pas l’impression d’être dans un jouet. On ouvre la porte, pour se glisser dans le cockipt. Le Backup OMP, l’arceau et l’intérieur sont fidèles à la Porsche Cup. Mes yeux se promènent dans l’habitacle. Un joli bureau, il est vrai. La majorité des boutons du volant sont fonctionnels, comme la radio, les maps moteurs ou la répartition de frein. La base du volant est évidemment un Direct Drive, intégré par Race Start Concept, au niveau des genoux, juste au-dessus du pédalier Heusinkveld Ultimate, dont la résistance sera adaptée avec des butées en fonction du véhicule que le pilote souhaite travailler bien sûr. Derrière le volant, Un dashboard Z1, qui montre par exemple le compare time. Au-delà du pare-brise, un immense écran circulaire de six mètres de diamètre et deux mètres vingt de hauteur. Dans la voiture, l’image des trois vidéo-projecteurs est vraiment immense. Enfin quatre vérins DBOX ajoutent les mouvements de caisse à l’ensemble. Un local agréable, découpé en deux zones de 55 m² chacune : le salon et la pièce maîtresse, le simulateur. D’ailleurs, c’est sur quel jeu ?

« Stéphane m’a proposé Assetto Corsa. Une personne de chez AOTech, me l’a confirmé pour le réalisme notamment, grâce au scanner laser des pistes. Pour les gentlemen, il est important que ce soit le plus réaliste possible dans les repères visuels. Sur le Redbull Ring par exemple, il y a des différences, mais c’est déjà très bien. Les autres pistes, issues du modding, ne sont pas scannées, mais dans l’ensemble c’est plutôt réaliste, même s’il manque la nuit, ou la pluie, pour coller aux courses de 24h comme Spa ou le Mans. »

La séance type

Avec un tel outil, immersif jusqu’au bout des gants, en tant que simracer, je suis curieux de savoir quel genre de séances peuvent être travaillées. Le focus se concentre sur la performance et sur sa constance, évidemment, mais aussi sur les à-cotés du pilotage. Dans notre monde de Simracing, la radio est un aspect complètement intégré mentalement, mais ce n’est pas le cas de tous.

«  Etant sur le muret, je m’aperçois que les pilotes pros, qu’ils parlent ou pas, ils perdent zéro à la fin du tour.  Quand je demande en ligne droite à un gentleman de changer quelque  chose, le chrono descend d’une, deux, voire trois secondes. Sur un relais d’une heure, quand on a besoin du niveau d’essence à bord ou de donner une information, il ne faut pas qu’il perde de temps. De même dans la voiture, un dash indique l’écart par rapport à un temps de référence. Dans le simulateur, étant assis à côté de lui, pour un pilote amateur, ce n’est pas inné ni facile. Cela demande du travail et de l’habitude, et ce sont des secondes qui peuvent être gagnées grâce au simulateur. »

La course pour un gentleman est évidemment une passion. Au contraire du pilote pro, il a besoin d’être très concentré pour avoir toute sa performance. Regarder ailleurs, bouger une map, n’est pas si naturel. L’environnement extérieur est clairement un facteur de déconcentration. Pourtant, il est nécessaire. L’informatique depuis des années est entrée dans la course automobile.

« L’autre gros avantage du simulateur est aussi de pouvoir décharger les acquisitions de données pour travailler comme en piste. On utilise le Motec, le même logiciel que les Porsche type 97 qui permet les comparaisons avec les acquisitions réelles, pour caler les nouvelles voitures avec la réalité. Nous pouvons modifier différents paramètres, comme le grip de pneu, les rapports de boîte, pour avoir une vitesse de virage réaliste dans le simulateur. De même comme sur piste, la télémétrie est utilisée pour comparer deux pilotes. On sait estimer dans chaque virage l’écart perdu et pourquoi. Pour progresser, la personne roule, regarde les acquis, et retourne rouler pour mettre en application comme en piste. Avec Assetto, les principales pistes internationales sont modélisées et passées au scanner laser. Mon expérience passée sur les pistes me permet de donner les astuces du tour, avec les caméras embarquées et les acquis. De même les pilotes pros ont besoin de rouler en simulateur, afin de se recaler mentalement avant d’aller sur un circuit. Pendant l’année, ils roulent dans différentes catégories, les déroulés de week-end passent très vite. Souvent il y a des sorties de route, des drapeaux rouges, parfois il pleut, les réglages de la voiture sont à refaire, ce qui fait que les séances sont écourtées. Surtout pour les gentlemen drivers car la priorité va aux pilotes pros pour régler la voiture. Il manque un peu de temps, donc à la fin ils ne font que 3 ou 4 tours. Le but du simulateur est de gagner tous les petits dixièmes de secondes qui peuvent aider en piste. Après la phase d’adaptation au simulateur, on peut travailler sur la régularité, la dégradation des pneus, sur le ressenti d’une voiture, en déréglant le châssis par exemple. Le faire dans la réalité c’est compliqué, car s’il se loupe, il perd sa confiance et peut abîmer la voiture. Sur simulateur, on peut le faire sans prendre de risques, sans entamer la confiance. Et cela permet au gentleman d’être capable, quand il est en piste, de gagner du temps tout en donnant de l’information à l’équipe, pour un coût qui reste mesuré. »

Vous voulez essayer ?

Evidemment, et ce n’est pas par politesse. Plusieurs éléments dans le simulateur piquent ma curiosité : la voiture, le pédalier, le volant, l’immense écran. Nous convenons de rouler sur Porsche sur un circuit que je connais bien et que j’apprécie. Le Red Bull Ring, le circuit autrichien bucolique et vallonné. Une fois la porte ouverte, je me faufile au-dessus des traverses de l’arceau, pour m’installer dans le baquet. Je n’ai pas besoin d’avoir de casque pour me rendre compte que la voiture est plus que réaliste. Une fois les pneus chauffés, la voiture est très saine, et le ressenti au volant de la perte de grip est vraiment naturel. Je n’ai pas de mal à contrôler la voiture en sortie de virage. Ce que je note et qui fait une grosse différence sont les dénivelés. Le circuit est à flanc de montagne, la hauteur de l’écran retranscrit bien mieux la pente que mon triple écran. J’essaye de m’appliquer, Félix est assis à mes côtés. J’essaye bien évidemment de faire bonne figure et de ne pas faire trop d’erreurs. Je me souviens qu’il m’a donné des conseils, et je ne m’en rappelle plus. Non pas que je les ai oubliés. Mais comme nous en parlions dans le salon, j’avais besoin de toute ma concentration pour livrer mon meilleur tour. La preuve est qu’après trente minutes à peu près, Félix m’a parlé du dashboard que j’avais complètement oublié. Je ne suis pas un pilote professionnel, c’est vrai. Pour être franc, je n’aurais pas pu rouler beaucoup plus longtemps, mon oreille interne se rappelait à mon souvenir face aux pentes visuelles. Je commençais à avoir un peu de cinétose. Comme Félix me l’a dit, l’adaptation est nécessaire, le corps doit s’habituer. En fin de séance nous sommes passés du côté du Motec, pour regarder où je perdais du temps. Car j’en perdais pas mal, plus de 2 secondes par rapport au temps de référence. Les freins étaient une piste, et je serais bien resté plus longtemps pour travailler mes points faibles évidemment.

Attention, ne pas en faire trop

Ce centre est évidemment incomparable avec ceux présents sur notre carte, ou avec un séance de karting. Le tarif d’une séance débute à 260 € pour 1 heure. Cela peut paraître cher, c’est vrai. La plus-value, c’est Félix sans aucun doute. Il s’agit avant tout de coaching, et d’apprendre ce qui parfois nous manque, les quelques dixièmes de performance, ou de dégradation des pneus, qui peuvent vous faire changer de catégorie. Le talent et le travail. Le simulateur est un outil puissant, permettant de travailler sur une palette très large de la performance, mais lui aussi a ses limites.

« Affirmer que le simulateur est au dixième de la réalité n’est pas important. Car sur la piste, en fonction des conditions, des pneus, qui a roulé avant, être dans une fourchette de deux secondes est réaliste. Nous avons besoin que le comportement soit comparable, les distances de freinage, les vitesses de passage en courbe. Le point négatif peut-être du simulateur est que les pilotes peuvent essayer plus que dans la réalité. Mais ils ne doivent pas tenter n’importe quoi car cela ne passera qu’une fois. Le plus important est d’être le plus rapide et le plus régulier sur une série de 20 tours. Il ne faut pas oublier le paramètre peur, et ne tenter que ce qu’on est sûr de reproduire en vrai. Passer le raidillon à Spa peut être facile en simulateur, alors qu’en vrai il faut oser. Cela peut être bien pour travailler le tour vite, pour la qualif. »

Quelques semaines après l’ouverture de 2SMPilotage, les gentlemen drivers sont venus. Certains ont déjà réservé pour de nouvelles séances, ce qui prouve déjà que l’outil est viable. Le bouche à oreille dans ce petit milieu fera le reste. Le coaching pourrait aussi s’appliquer au simracer pour progresser avec ceux qui savent. Un des moteurs de croissance du Simracing est l’envie de passer du côté du Realracing, autant utiliser les techniques éprouvées depuis des années. Le simracer est un animal solitaire qui découvre souvent de manière empirique, à force de kilomètres, les réglages, les trajectoires, ou les stratégies gagnantes. Mais La course reste la course, la concurrence est rude, tout comme la performance. Je ne peux donc que les inviter à contacter Félix, et venir en Bretagne. Le gain est à ce prix.

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